Joueur de saz, le luth à manche long de l’Asie Mineure, chanteur, musicologue, Ruşan Filiztek a beaucoup voyagé par les musiques, de son Anatolie natale à l’Istanbul de l’adolescence, puis à l’Irak et à la Syrie dont il a arpenté les musiques, avant d’arriver en Europe par l’Andalousie et de prendre la route de Paris. Cet album ne pouvait se faire que là où tous ces musiciens sont rassemblés car Exils déploie un tissage d’amitiés et de complicités qui dépasse les contours de ce que l’on appelle d’habitude un groupe – le guitariste flamenco François Aria, le percussionniste Juan Manuel Cortes, le flûtiste celtique Sylvain Barou, le joueur de duduk arménien Artyom Minasyan, la violiste Marie-Suzanne de Loye, la chanteuse grecque Dafné Kritharas, la chanteuse flamenca Cécile Evrot, les bassistes jazz Leila Soldevila et Emrah Kaptan.
Tous vivent à Paris, incarnant le double sens du mot sürgün en turc, qui signifie à la fois l’exil et le plan, la pousse, la bouture que l’on plante dans une nouvelle terre. Comme Rusan, leur exil les a enracinés ailleurs. « Ce ne sont pas seulement des musiciens avec lesquels je travaille. Je vis avec eux. » Et, par ces amitiés, Ruşan passe par les portes laissées ouvertes d’une culture à l’autre, par les ponts visibles seulement par ceux qui écoutent. Dans Soleá del encuentro, parfums et arpèges andalous s’enlacent à l’ancienne langue turque mêlée de mots d’arabe, de persan ou de grec, typique d’Urfa, la ville du prophète Abraham. Et la viole de gambe rappelle, par sa facilité à dialoguer avec les modes d’Asie Mineure, que le oud traversa les Pyrénées au XVe siècle et laissa ses traces entre Notre-Dame et Versailles.
Lien d'écoute et d'achat : EXILS
AC 196 - 2024